Une étude de 2017 révèle que 29 % des employés montrent des signes de dépression, et 6 % pourraient être dépressifs. Cela inquiète les employeurs, car depuis les années 2000, la dépression nerveuse peut être reconnue comme accidents du travail, entraînant des conséquences juridiques et financières pour l'entreprise. Cet article clarifiera quand une dépression peut être un accident de travail, ses implications pour l'entreprise, et comment limiter les risques si une telle qualification est retenue.
Quand la dépression nerveuse peut-elle être considérée comme un accident de travail ?
L'article L 411-1 du Code de la sécurité sociale définit l'accident du travail comme un événement survenu par le fait ou à l'occasion du travail, causant une lésion physique ou psychologique. Cette définition, précisée par la jurisprudence, nécessite un lien direct entre l'état du salarié et son activité professionnelle.
Cas de jurisprudence
Un exemple illustre la dépression nerveuse. Un chef de poste a été informé lors d'un entretien d'évaluation qu'il ne convenait pas à son poste et qu'il était rétrogradé à des fonctions d'agent de maîtrise suppléant. Deux jours plus tard, il a été diagnostiqué dépressif par son médecin. La Cour de cassation a jugé que c'était un accident du travail.
Cas contraire
Dans un autre cas, un peintre en carrosserie s'est suicidé chez lui. Sa veuve a plaidé qu'il était dépressif et victime de harcèlement au travail. Les juges n'ont pas retenu cette argumentation, car le lien entre le travail et la dépression n'était pas clairement établi.
La Cour de cassation a admis que le suicide au domicile du salarié peut être considéré comme un accident du travail, si le salarié prouve qu'il est survenu par le fait du travail.
Évolution de la jurisprudence
La jurisprudence semble de plus en plus reconnaître les états dépressifs et les suicides comme des accidents du travail. Par exemple, la Cour d'Appel de Douai a jugé qu'un salarié qui s'est suicidé après avoir été embauché par un nouvel employeur était victime d'un accident du travail lié à ses conditions de travail antérieures.
Dans un autre cas, la Cour d'Appel de Paris a jugé qu'une salariée qui s'est suicidée chez elle après avoir subi des remarques désobligeantes de son employeur et d'autres difficultés au travail était victime d'un accident du travail.
Les conséquences de la qualification d’accident de travail de la dépression nerveuse
Une dépression qu’un salarié ou ses proches assimilent à un accident de travail annonce des soucis pour l’employeur. Formalités chronophages, coûts financiers et risques de responsabilité le guettent.
Au plan formel, d’abord :
Le salarié, s'il estime que sa dépression est liée au travail, doit en informer son employeur et consulter un médecin. L'employeur, dans les 48 heures suivant la prise de connaissance de la situation, doit la signaler à la Caisse Primaire d'Assurance Maladie, même s'il envisage de contester le lien entre la dépression et le travail. Cette déclaration doit décrire avec précision les circonstances de l'incident. Ce document est crucial, surtout dans les cas de lésions psychiques où la qualification d'accident du travail n'est pas évidente. L'employeur doit conserver une copie de cette déclaration pendant cinq ans.
Si le salarié est en arrêt de travail, l'employeur doit le signaler sur la plateforme DSN (Déclaration Sociale Nominative).
Enfin, l'employeur doit fournir au salarié la feuille d'accident du travail (imprimé Cerfa 11383 fournis par l'organisme d'assurance maladie).
Au plan financier, d’autre part
Les entreprises versent une cotisation sociale couvrant des accidents du travail, des maladies professionnelles et des accidents de trajet. Si dans les entreprises employant moins de dix salariés, le taux dépend du secteur d’activité, les plus grosses unités supportent un taux qui prend en compte les sinistres intervenus en leur sein. Autrement dit, des accidents de travail, y compris des dépressions, impliqueront une hausse des cotisations.
L’employeur est tenu de verser pendant son arrêt au salarié ayant plus d’un an d’ancienneté un complément aux indemnités journalières de la Sécurité sociale. Le taux en est fixé par la convention collective applicable.
Il est impossible de licencier le salarié en arrêt de travail pour motif personnel sauf pour faute grave. La rupture conventionnelle reste cependant admise, tout comme le licenciement motivé par une impossibilité de maintenir le contrat de travail, étant précisé que ce dernier cas de figure se fondera sur des difficultés financières graves.
À la fin de l’arrêt de travail, s’il a duré au moins trente jours, l’employeur devra organiser une visite auprès de la Médecine du travail. Pas de problème particulier si le salarié est reconnu apte et qu’il retrouve son poste précédent ou un poste équivalent avec la même rémunération. S’il est inapte, la situation se complique. Soit l’employeur le reclasse, soit il le licencie. Mais il devient redevable d’une indemnité spéciale de licenciement égale à un demi mois de salaire par année d’ancienneté. Une indemnité de préavis sera également versée, bien que le salarié n’effectuera pas ce préavis, ainsi qu’une indemnité complémentaire fixée par les juges, car la raison de son licenciement trouve son origine dans la faute de l’employeur qui n’a pas préservé son état de santé.
Si le salarié reste inapte ou s’il s’est suicidé, la Caisse Primaire d’Assurance Maladie lui versera une rente ou l’attribuera à sa famille. Mais la CPAM en demandera le remboursement à l’entreprise employeur.
Au plan pénal enfin, des poursuites sont souvent engagées
L’entreprise encourt des amendes, la fermeture d’un établissement et l’exclusion des marchés publics pendant cinq ans ;
Son dirigeant sera parfois poursuivi à titre personnel comme auteur indirect d’infractions ayant concouru à la dépression. Plusieurs infractions pourront être invoquées par les plaignants, notamment la soumission d’une personne, dont la vulnérabilité ou l'état de dépendance étaient apparents ou connus de l'auteur à des conditions de travail ou d'hébergement incompatibles avec la dignité humaine, la mise en danger la vie d’autrui, l’homicide involontaire, la provocation au suicide, la non-assistance à personne en danger, et le harcèlement moral. Des infractions qui exposent la personne poursuivie à des amendes, mais aussi à des peines de prison assorties ou non de sursis.
Les moyens de se défendre ou de limiter les risques dans l’hypothèse où la qualification d’accident de travail est retenue.
La Cour de cassation a considéré le 16 septembre 2003 que tout employeur est tenu à une obligation de sécurité : tout manquement à cette obligation a le caractère d’une faute inexcusable. L’employeur est tenu à une obligation de résultat concernant la santé de ses salariés.
Cela signifie que la faute de l’employeur est quasiment présumée dès lors que la lésion psychique est apparue. Une situation qui limite les stratégies de défense.
Dans les cas de dépression nerveuse, il faudra contrer le lien de causalité entre l’état psychologique et le travail du salarié. Il invoquera par exemple un état pathologique préexistant sur lequel l’exécution du contrat de travail n’a pas eu d’incidence.
Les premières réserves de l’employeur seront mentionnées dès la déclaration de l’accident à la CPAM. Face à une contestation de l’accident du travail émise par l’employeur, la Caisse instruit le dossier contradictoirement et adresse un questionnaire aux deux parties. À défaut, la qualification d’accident du travail serait inopposable à l’employeur. La Cour de cassation l’a confirmé dans un arrêt du 9 novembre 2017.
Lorsque la qualification d’accident du travail est reconnue par la caisse, l’employeur dispose de voies de recours :
- dans un premier de temps devant la CRA, Commission de recours amiable ;
- puis devant le TASS ? Tribunal des affaires de sécurité sociale.
Les chances de succès des recours dépendent des arguments contestant le lien de causalité entre l’exécution du contrat de travail et la dépression.
Par ailleurs, les risques financiers relatifs aux conséquences d’un accident du travail sont susceptibles de couverture par les compagnies d’assurance.
Quant aux poursuites personnelles, le dirigeant de l’entreprise ne pourra y échapper qu’en produisant une délégation de pouvoir conclue avec un de ses salariés en matière de sécurité. Si un tel document écrit et valable existe, le dirigeant sera exonéré de responsabilité et le délégataire sera poursuivi à sa place. Une technique peu glorieuse et contraire aux principes de nombreux patrons, mais efficace
Les conséquences d’une dépression nerveuse reconnue comme accident de travail peuvent se révéler très lourdes pour une entreprise et son dirigeant. Ces perspectives peu réjouissantes soulignent l’intérêt de respecter les obligations de l’employeur en matière de santé et de sécurité au travail. Cela inclut naturellement les dispositions réglementaires concernant les locaux, installations, machines et véhicules, mais aussi la mise en place du document unique d’évaluation des risques professionnels dans l’entreprise, des instructions, des formations insistant sur le respect de chaque salarié. Et un dernier conseil pour terminer, prenez des mesures parant les comportements agressifs ou hostiles de nature à faciliter la preuve pour un salarié dépressif que son trouble psychologique résulte directement d’un événement survenu dans l’exécution de son travail.
La dépression nerveuse : un accident de travail ?